je cherche une chambre pour une partie de la nuit, car je ne trouve plus la mienne : j’ai voulu le demander à toi dès que je t’ai vu au coin de la rue, je ne l’aurais pour rien au monde demandé à l’un de ces cons avec qui je flânais, bien que je ne leur ressemble pas (cela doit se remarquer), mais je flânais avec eux pour mille raisons, gardant toujours en secret une moitié de moi-même à la recherche d’une chambre où je ne sois pas cloué avec un con, forcé de cacher que je suis étranger, forcé de parler de la mode, de la politique, de salaire et de bouffe, tous ces cons de Français avec leurs mêmes gueules et leurs mêmes soucis, parlant de bouffe jusque sous la pluie, tournant le dos au vent et parlant toujours de bouffe, et moi qui approuvais, pour pouvoir être libre tout à l’heure de courir, courir, courir, moi qui ne mange pas, moi qui ne mange rien

je cherche une chambre pour une partie de la nuit, car je ne trouve plus la mienne : j’ai voulu le demander à toi dès que je t’ai vu au coin de la rue, je ne l’aurais pour rien au monde demandé à l’un de ces cons avec qui je flânais, bien que je ne leur ressemble pas (cela doit se remarquer), mais je flânais avec eux pour mille raisons, gardant toujours en secret une moitié de moi-même à la recherche d’une chambre où je ne sois pas cloué avec un con, forcé de cacher que je suis étranger, forcé de parler de la mode, de la politique, de salaire et de bouffe, tous ces cons de Français avec leurs mêmes gueules et leurs mêmes soucis, parlant de bouffe jusque sous la pluie, tournant le dos au vent et parlant toujours de bouffe, et moi qui approuvais, pour pouvoir être libre tout à l’heure de courir, courir, courir, moi qui ne mange pas, moi qui ne mange rien

alors dans la journée, j’ai écrit sur les murs : mama je t’aime mama je t’aime, sur tous les murs, pour qu’elle ne puisse pas ne pas l’avoir lu, je serai sur le pont, mama, toute la nuit, le pont de l’autre nuit, tout le jour, j’ai couru comme un fou : reviens mama reviens, j’ai écrit comme un fou : mama, mama, mama, et la nuit j’ai attendu en plein milieu du pont, et dès qu’il a fait jour j’ai recommencé les murs, tous les murs, pour que ce ne soit pas possible qu’elle ne tombe pas dessus : reviens sur le pont, reviens une seule fois, une seule petite fois, reviens une minute pour que je te voie, mama mama mama mama mama mama, mais merde comme un con j’ai attendu une nuit, deux nuits, trois nuits et plus, j’ai fouillé tous les ponts, j’ai couru de l’un à l’autre, plusieurs fois chaque nuit, il y a trente et un ponts, sans compter les canaux, et le jours j’écrivais, les murs étaient couverts, elle ne pouvait pas ne pas m’avoir lue, mais merde, elle n’est pas venue, et elle ne viendrait plus, mais j’ai continué à écrire sur les murs, et j’ai continué à fouiller tous les ponts, il y a trente et une ponts sans compter les canaux, et je ne l’ai plus jamais retrouvée

alors dans la journée, j’ai écrit sur les murs : mama je t’aime mama je t’aime, sur tous les murs, pour qu’elle ne puisse pas ne pas l’avoir lu, je serai sur le pont, mama, toute la nuit, le pont de l’autre nuit, tout le jour, j’ai couru comme un fou : reviens mama reviens, j’ai écrit comme un fou : mama, mama, mama, et la nuit j’ai attendu en plein milieu du pont, et dès qu’il a fait jour j’ai recommencé les murs, tous les murs, pour que ce ne soit pas possible qu’elle ne tombe pas dessus : reviens sur le pont, reviens une seule fois, une seule petite fois, reviens une minute pour que je te voie, mama mama mama mama mama mama, mais merde comme un con j’ai attendu une nuit, deux nuits, trois nuits et plus, j’ai fouillé tous les ponts, j’ai couru de l’un à l’autre, plusieurs fois chaque nuit, il y a trente et un ponts, sans compter les canaux, et le jours j’écrivais, les murs étaient couverts, elle ne pouvait pas ne pas m’avoir lue, mais merde, elle n’est pas venue, et elle ne viendrait plus, mais j’ai continué à écrire sur les murs, et j’ai continué à fouiller tous les ponts, il y a trente et une ponts sans compter les canaux, et je ne l’ai plus jamais retrouvée

les colombes s’envolent au-dessus de la forêt et les soldats les tirent, les raqués font la manche, je cours, je cours, je cours, je rêve du chant secret des Arabes entre eux, camarade, je te trouve et je te tiens le bras, j’ai tant envie d’une chambre et je suis tout mouillé, mama mama mama, ne dis rien, ne bouge pas, je te regarde, je t’aime, camarade, camarade, moi, j’ai cherché quelqu’un qui soit comme un ange au milieu de ce bordel, et tu es là, je t’aime, et le reste, de la bière, de la bière, et je ne sais toujours pas comment je pourrais le dire, quel fouillis, quel bordel, camarade, et puis toujours la pluie, la pluie, la pluie, la pluie

les colombes s’envolent au-dessus de la forêt et les soldats les tirent, les raqués font la manche, je cours, je cours, je cours, je rêve du chant secret des Arabes entre eux, camarade, je te trouve et je te tiens le bras, j’ai tant envie d’une chambre et je suis tout mouillé, mama mama mama, ne dis rien, ne bouge pas, je te regarde, je t’aime, camarade, camarade, moi, j’ai cherché quelqu’un qui soit comme un ange au milieu de ce bordel, et tu es là, je t’aime, et le reste, de la bière, de la bière, et je ne sais toujours pas comment je pourrais le dire, quel fouillis, quel bordel, camarade, et puis toujours la pluie, la pluie, la pluie, la pluie

la nuit juste avant les forêts

de bernard-marie koltès

monologue pour comédien

danseuse et musiciens improvisateurs

annette barthelemy

mise en scène

florent ling

comédien et direction artistique

juliette adam

clarinette

vincent gailly

accordéon

françois vallet

percussions

danse

jeanne durouchoux

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hope you find your paradise